Acteurs Locaux Les deux Savoie – Une conférence Enjeux Énergétiques éclairante


Acteurs Locaux Les deux Savoie – Une conférence Enjeux Énergétiques éclairante

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Article N°29025

Acteurs Locaux Les deux Savoie – Une conférence Enjeux Énergétiques éclairante

Le 26 novembre dernier se tenait à Aix-Les-Bains une conférence de Bernard Accoyer qui a retracé l’histoire de la politique nucléaire française, une intervention qui éclaire les choix d’hier pour comprendre l’urgence d’aujourd’hui.

C’est Pierre-Louis Balthazard, Président de l’association Nous La Savoie et Conseiller Municipal qui était à l’origine de cette invitation. Renaud Beretti, Maire d’Aix Les Bains et Président de Grand Lac a présenté le conférencier Bernard Accoyer, une figure majeure de la vie politique française qui a notamment exercé les fonctions de président de l’Assemblée nationale de 2007 à 2012, de député de la première circonscription de la Haute-Savoie et de maire d’Annecy-le-Vieux. Engagé pour la défense du patrimoine nucléaire et du climat, il continue d’influencer le débat public sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Son livre Une Affaire d’État publié en 2022 y est consacré. Il a créé l’association PNC-France (Patrimoine Nucléaire et Climat) qui a pour mission de défendre le patrimoine nucléaire français et de promouvoir son rôle essentiel dans la lutte contre le dérèglement climatique. Appuyée sur des scientifiques reconnus elle agit en informant le public et les élus sur la base de données scientifiques objectives, en dénonçant les décisions idéologiques ou précipitées, et en mobilisant les acteurs locaux pour préserver cette filière stratégique pour l’avenir énergétique et environnemental de la France

En préambule Bernard Accoyer a rappelé que le CO2 et le méthane étaient tous deux des gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement climatique. Leur réduction est importante pour l’avenir de la planète.
L’énergie est utilisée partout et provient à 80% d’énergie fossile. C’est cette énergie qu’il convient de décarboner. Pour cela nous disposons d’un arsenal de technologies :

  • Les énergies pilotables, c’està-dire dont la production peut être modulée en fonction de la demande :

    • Hydraulique

    • Nucléaire

    • Géothermique

  • Les énergies non pilotables

    • Éolien (terrestre, marin posé, marin flottant)

    • Solaire (Thermique, Photovoltaïque)

Le principe de base est que la production doit être égale à la consommation. Il n’existe pas de batteries de grandes capacités et suffisamment fiables pour stocker l'électricité en grande quantité et/ou sur de longues durées. Si le réseau voit soudainement une quantité massive d’électricité produite sans que la demande ne soit suffisante pour la consommer, soit il y a délestage, soit le système s’effondre, provoquant comme ce fut le cas en Espagne un gigantesque black-out sous l’effet de l’énergie photovoltaïque produite. Une technologie comme  celle des barrages pompage-turbinage peut permettre d'absorber des excédents de production(voir l'article sur l’énergie hydroélectrique).

Difficile de résumer plus de 8 décennies d’histoire en 1h30, mais c’est le défi qu’a relevé avec succès Bernard Accoyer avec clarté et de façon abordable pour les béotiens en la matière.
En 1939 des scientifiques français Frédéric Joliot (prix Nobel de Physique 1935), sa femme Irène Curie (fille des prix Nobel 1903 Pierre et Marie Curie) avec son équipe du Collège dépose les premiers brevets portant sur l’utilisation de l’énergie nucléaire. C’est la fission nucléaire.
1945 : A la fin de la guerre est créé en France le Commissariat à l’Énergie Nucléaire (CEA) qui a pour mission de mener des travaux de recherche scientifiques et techniques afin d’exploiter l’énergie nucléaire dans les secteurs civils et militaires.
Quelques mois après le 1er choc pétrolier de 1973 est lancé le plan Messmer qui accélère l’initiative de Charles De Gaulle. Il permettra à la France de s’équiper en 20 ans d’un parc nucléaire de plus de 58 réacteurs. Fin des années 90,  la France était leader sur le marché du nucléaire.
La France a eu pendant des décennies un mix énergétique équilibré qui combinait 75% de nucléaire et 12% d’hydraulique avec des centrales thermiques en appoint. C’est là que de mauvaises décisions vont s’enchaîner.
Pour en comprendre la raison Bernard Accoyer nous replonge dans l’histoire-dans-l’histoire. Car en parallèle des avancées du nucléaire apparaissent dès la fin de la guerre des mouvements antinucléaires en réaction à l’émotion provoquée par les bombes de Nagasaki et Hiroshima. En pleine guerre froide ces mouvements pacifistes sont instrumentalisés par les pays du bloc de l’est pour affaiblir l’OTAN et limiter le déploiement d’armes nucléaires occidentales (Pershing, Cruise missiles, etc.). Dès les années 70 se fait un amalgame entre le nucléaire militaire et civil, et l’opposition se teinte d’écologisme avec une connotation politique (mouvements anticapitalistes pilotés par l’Union Soviétique notamment). Avec la catastrophe de Tchernobyl (1986) le mouvement antinucléaire s’internationalise et les écologistes accèdent au parlement dans plusieurs pays (Allemagne, Belgique, Scandinavie). Au fur et à mesure que les partis traditionnels s’affaiblissent ils vont devoir s’allier aux écologistes et l’agenda antinucléaire progresse.
En 1998 la France commet la première erreur fatale pour sa puissance nucléaire. Dominique Voynet alors ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement milite pour - et obtient de Lionel Jospin alors premier ministre - de fermer Super Phenix, un générateur de 4ème génération. Pour comprendre les enjeux, penchons-nous sur la technique :
Les réacteurs nucléaires de troisième génération sont le modèle actuellement déployé dans la plupart des centrales du monde. Le cœur contient des barres d’uranium enrichi. Lorsqu’un neutron vient heurter un noyau d’uranium, celui-ci se casse – c’est la fission – en libérant d’autres neutrons et de l'énergie sous forme de chaleur. Les neutrons libérés vont percuter d’autres noyaux d’uranium et ainsi de suite d’où le terme de réaction en chaîne. La chaleur dégagée chauffe de l’eau qui se transforme en vapeur et entraîne une turbine pour produire de l’électricité. 1 gramme d’uranium produit autant d’énergie qu’1 tonne de pétrole
Le réacteur nucléaire de quatrième génération visait à utiliser un combustible non enrichi. Cette technologie qui était assez avancée avec Super Phénix aurait pu bruler les stocks de déchets des centrales des précédentes générations en assurant une autonomie énergétique à la France.
2008 : Le gouvernement français, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, lance le Plan Climat qui prévoit, parmi d’autres mesures, une réduction progressive du parc nucléaire.
2011 : La catastrophe de Fukushima relance la peur du nucléaire. En Allemagne, la chancelière Angela Merkel dont le parti (CDU) est en perte de vitesse profite de cet évènement pour s’allier les verts en programmant la sortie du nucléaire à l’horizon 2025.La sortie du nucléaire se fera en parallèle du développement des énergies renouvelables mais compte tenu de leur nature intermittente ces dernières doivent être alliées à une énergie pilotable. En Allemagne ce sera le gaz. Quel heureux hasard, l’ancien chancelier Allemand Gerhard Schröder a signé avec Vladimir Poutine un accord pour un gazoduc sous la Baltique peu avant de quitter ses fonctions en 2005. Il travaille à présent chez GazProm qui a construit Nordstream 2, le gazoduc qui a vocation à approvisionner toute l’Europe en gaz.
2012 : Lors de l’élection présidentielle de 2012, François Hollande s’engage à fermer Fessenheim pour s’allier Europe Écologie Les Verts (EELV) dirigée par Dominique Voynet. Cet engagement s’inscrit dans une orientation de réduction de la part du nucléaire à 50 % en 2025. Un engagement qu’Emmanuel Macron reprend en 2017.
En 2019 Emmanuel Macron suspend sans justification le programme ASTRID, un projet français de réacteur nucléaire de quatrième génération à neutrons rapides. Conçu par le CEA, il devait placer la France à l’avant-garde des technologies nucléaires avancées. La dynamique de recherche sur la surgénération est interrompue. Alors que la France était leader sur cette technologie, désormais les chinois qui nous devancent.
2020 voit l’arrêt de Fessenheim, l’une des centrales nucléaires les plus sûres. L’arrêt même coûte à la France près de 5-7 milliards d’euros auxquels s’ajoutent la perte de production de 400 milllions € par an. Un gouffre financier.
2022 : Dans le contexte d’une explosion des coûts de l’énergie Emmanuel Macron prononce le discours de Belfort qui annonce la nouvelle politique énergétique de la France pour retrouver la souveraineté énergétique que les décisions précédentes avaient sabordée, combinant sobriété, nucléaire et développement des énergies propres.

Actuellement l’Allemagne dispose d’une énergie 7 fois plus carbonée que la France, nous avons vu pourquoi (abandon du nucléaire et choix du gaz pour compléter l’énergie intermittente). Quid des prix ? Rappelons que les directives européennes ont ouvert le marché de l’énergie à la concurrence à partir de 1999, un processus achevé en 2007 pour les particuliers. Le monopole historique d’EDF disparaît pour introduire une concurrence crée artificiellement pour faire baisser les prix. Pour cela un dispositif spécifique, l’ARENH oblige EDF à vendre jusqu’à 100 TWh/an d’électricité nucléaire à ses concurrents à un prix régulé (42 €/MWh), souvent à perte, afin de leur permettre de proposer des offres compétitives. Les volumes régulés sont insuffisants pour fournir toute la demande, obligeant les concurrents d’EDF qui sont en réalité des traders, à compléter leurs achats d’électricité au prix du marché. Comme ce dernier est indexé sur le coût de la dernière unité de production appelée, les prix sont extrêmement volatils. Les ménages notamment français ont bien vu l’effet de cette instabilité sur leurs factures. Ils paient doublement car d’une part la concurrence artificielle est financée par l’état français - lorsqu’EDF renonce à faire du profit sur l’électricité vendue à ses concurrents, c’est l’état qui paie – d’autre part le prix de marché subit les décisions prises par l’Allemagne de s’en remettre au gaz russe pour pallier l’intermittence des énergies vertes. Avec la guerre en Ukraine nous connaissons la suite.
Au final les prix sont 2 à 3 fois plus élevés en Europe qu’aux Etats Unis, ce qui mine la compétitivité de nos entreprises et en a poussé certaines à se délocaliser sous des cieux plus cléments. Bernard Accoyer précise qu’il n’est pas contre l’Europe mais fustige sa poursuite d’une utopie qui impose des objectifs toujours plus irréalistes -45% de GES (Gaz à Effet de Serre) d’ici 2030, 0 en 2050 !
Le PPE (Plan Pluriannuel de l’Énergie) 3 s’il est entériné prévoit d’investir des milliards en énergies intermittentes, photovoltaïques et éoliennes. Ces énergies sont non pilotables, peuvent déséquilibrer le réseau en cas de pic de production. Pour vendre cette électricité il faut alors payer. Par ailleurs ces technologies font prospérer essentiellement l’industrie chinoise (domine le photovoltaïque) et chinoise (éoliennes) et Allemande (éoliennes + centrales gaz).
Ajoutons que pour construire des centrales de production électrique, qu’elles soient éoliennes ou nucléaires, c’est également construire le réseau d’acheminement d’électricité. Le Danois Dan Jørgensen, commissaire à l’énergie, et violemment antinucléaire l’a bien compris puisqu’il veut retirer aux états le droit de construire leurs réseaux électriques. L’Europe pourrait ainsi imposer aux états membres de construire les centrales (tout sauf nucléaires) qu’ils veulent, quand ils veulent, où ils veulent, en fonction des intérêts qu’ils défendent dont on a vu qu’ils étaient plus volontiers alignés avec l’intérêt des lobbyistes et de l’Allemagne qu’avec Les intérêts français, car il faut bien l’avouer la défense de nos intérêts à la commission européenne est plutôt intermittente.

En définitive, la conférence de Bernard Accoyer a mis en lumière la manière dont une succession de choix politiques, d’arbitrages idéologiques, de renoncements, de soumission à des lobbys ont fragilisé, puis progressivement affaibli considérablement et désorganisé, une filière nucléaire qui était un atout stratégique pour notre pays. Si certaines décisions ne relèvent pas d’une intention délibérée, leur accumulation a pour effet un véritable sabotage de notre atout industriel majeur dont les entreprises et les ménages français paient le prix au quotidien depuis des années. Face à une Europe dont les membres ont des intérêts parfois opposés, à des concurrents offensifs et à une demande énergétique croissante, il devient urgent de retrouver une vision cohérente, durable et assumée. C’est à ce prix seulement que la France pourra reconquérir sa position de leader et garantir à ses citoyens une énergie sûre, décarbonée et abordable.


Nathalie ROC MAWET

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